«C'est ma façon de dire merde»

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Interview de GILLES MILLET réalisé pour Libération en 1978, archive à retrouver ici

Fin 1978, Jacques Mesrine accorde une interview à Libération. Il évoque sa vie en cavale, son combat contre les quartiers de haute sécurité, son rapport au banditisme et à la mort. Extraits. Fin 1978, Jacques Mesrine accorde une interview à Libération. Il évoque sa vie en cavale, son combat contre les quartiers de haute sécurité, son rapport au banditisme et à la mort. Extraits.

 

Gilles Millet en compagnie de Jacques Mesrine

 

Comment vivez-vous votre cavale ?

Je passe mon temps devant la télévision, à dormir, à faire l’amour et à bien bouffer. Je lis beaucoup. Je joue aux échecs, aux dominos, au Mastermind. […] Oui, Mesrine est tranquillement caché et il ne bouge pas. Il attend.

 

La dernière fois que vous avez «bougé», c’était en novembre pour aller chez le président Petit (le président de la cour d’assises qui l’avait condamné). Qu’alliez-vous y faire exactement ?

Quand les jurés m’ont condamné à vingt ans de réclusion, j’étais depuis trois ans dans un centre de haute sécurité et j’y suis retourné. La haute sécurité, je n’ai aucune raison de l’admettre. Ni pour moi ni pour les autres. […] Je n’ai jamais été chez Petit pour l’enlever. J’allais chez Petit pour l’exécuter.

 

Si vous l’aviez tué, vous n’auriez plus été un homme qui se bat contre les QHS [quartiers de haute sécurité], mais un assassin. Et les assassins, les gens n’aiment pas ça…

La société assassine les détenus, jour après jour, nuit après nuit. Les QHS, c’est un assassinat légalisé. Donc j’aurais répondu à l’assassinat moral de ces gens par un autre assassinat. Ne demandez pas à un homme d’être raisonnable quand, justement, la justice et le gouvernement ne le sont pas. J’ai appris la haine en QHS. Exécuter Petit, ce n’était pas une simple vengeance ; c’était pour foutre un impact terrible. Le destin a voulu que je ne fasse pas cette erreur politique. […] Je ne suis pas un type qui a une éducation politique. J’ai une éducation de combattant. […] Il est beau de me parler de la vie humaine mais quand j’ai combattu en Algérie, la vie humaine n’avait pas la même importance. […] Pour moi, la vie d’un juge ne vaut pas plus que celle d’un détenu.

Le lundi qui a suivi l’action chez Petit, il y avait des policiers partout impasse Saint-François [l’une des planques de Mesrine balancées par son complice Jean-Luc Coupé, ndlr]. Je suis passé voir. J’étais si bien déguisé qu’il était impossible de me reconnaître. C’est là que j’ai vu Broussard. […] J’ai souri. Ils me cherchaient impasse Saint-François et j’étais derrière eux.

 

On dit que vous savez user des médias, que vous soignez votre publicité ? Pourquoi ce jeu ?

Si je me sers des médias, c’est que les médias ne se privent pas de me salir et de salir l’action que je mène. Le droit de réponse existe… […]

Je ne suis ni un justicier ni un héros. Je suis un homme d’action, qui n’est pas trop con et qui fait des actions que tout le monde ne ferait peut-être pas… Quand France Soir ou Paris Match font de grands titres sur moi, ils prennent du fric et ce n’est pas moi qui l’empoche… En fin de compte, je suis devenu un produit commercial et ils ont tort. Parce que je ne suis pas un bon produit au regard des valeurs qu’ils défendent. […] Si j’ai adressé deux lettres au Matin, c’est que ce journal est intègre. Après Libération, qui a toujours donné la parole aux détenus, le seul journal qui commence à le faire, c’est le Matin. En plus, politiquement, je suis situé un peu socialiste.


Certains pensent que votre évasion dessert les détenus. Qu’au lieu de combattre les QHS, vous les renforcez en correspondant à l’image du «dangereux gangster irrécupérable»…

Le droit de tout homme enfermé est de s’évader. L’administration pénitentiaire n’a qu’à créer un climat faisant que les détenus pensent à autre chose qu’à s’évader. Lorsque les détenus penseront que la détention peut leur amener autre chose que de la haine, ils chercheront à se réhabiliter. […] Quand on enlève les photos de votre femme, quand on vous supprime ses lettres ou un parloir, quand on ouvre le courrier destiné à votre avocat… Vous n’allez pas me dire que c’est pour la sécurité ! […] Beaucoup de petits voleurs n’ont rien à faire en prison. Je vois des petits gars entrer en prison pour dix, quinze, vingt ans alors que ce sont surtout des victimes de la société. Moi, je n’en suis pas une.

 

Comment voyez-vous votre vie ? Votre personnage ?

Mesrine l’ennemi public numéro 1 et sa légende ne m’intéressent plus. Pour le reste, je ne suis pas un homme désespéré, mais je suis un homme qui lutte pour une cause désespérée.

 

Quel effet cela fait de penser qu’on risque de mourir demain ?

Je ne trouve pas plus con de mourir d’une balle dans la tête que de mourir au volant d’une R16, ou à Usinor en travaillant pour le Smig. Moi, mon métier fait que je vis du banditisme. Un certain banditisme qui ne consiste pas à attaquer les vieillards mais les banques et certaines entreprises. Si je pique 20 millions à une banque, ce n’est pas un drame. Mon métier, c’est de braquer. […] Je ne vais pas vous dire que mourir le calibre à la main, c’est une mort d’homme. Non. Une mort d’homme, ça n’existe pas. Il y a la mort tout court.

 

Ne comptez-vous pas interrompre un jour vos activités ?

Je vais vous surprendre : il est fort possible que j’arrête un jour. Justement pour démontrer à Peyrefitte que des types comme moi sont réhabilitables en dehors de la pénitentiaire. […] Mais il faut être honnête. J’aime le fric. Moi, je suis incapable de vivre avec 2 500 balles par mois. Je me demande comment un ouvrier en est capable. […] Si je voulais, avec la cote que j’ai, je serais proxo et les filles travailleraient pour moi simplement pour dire : je suis la poule à Untel. Or, je ne touche pas à ce genre de truc. […] Je suis un mec sincère. Même si j’ai beaucoup de défauts ; je suis un fou d’orgueil, une montagne d’orgueil, si on touche à mon orgueil, je suis capable de tout. […]

Je ne suis pas un justicier, je suis un type révolté qui vit sa révolte. […]

 

Comment expliquez-vous cela ?

Dans les QHS, on se fabrique une haine qui n’existait pas avant. Et qu’on ne vienne pas me parler des deux heures de télévision une fois par semaine. Comme si la télévision était susceptible de compenser les contacts humains. […]

Aucun homme au monde n’est irrécupérable. On a pardonné à des types qui ont commis des crimes contre l’humanité. Un crime contre l’humanité est pardonnable ? Pas un crime contre une Société générale ou une BNP ? […] Moi, ce n’est pas mon calibre qui me domine ; mais moi qui domine mon calibre… Si mon calibre avait parlé pour moi, chez Petit, le flic serait mort. Et si je lui ai dit : «Je suis Mesrine», ce n’est pas une fanfaronnade, c’est ma manière à moi de dire «merde». […]

[Le commissaire] Devos m’aura peut-être pas ; en tout cas vivant… Broussard, lui, m’aurait eu vivant. Devos n’aura peut-être que mon cadavre. Si un jour, je me retrouve sur le trottoir avec 20 balles dans la peau, je ne pense pas que Devos aura une grande victoire…

En conclusion, je voudrais vous dire que je suis bien. Je suis heureux. Je ne vis pas traqué. […] J’ai au moins gagné sept mois de cercueil, c’est déjà ça. J’étais condamné à vingt ans, j’allais sûrement être condamné à perpétuité, et vu ma santé, je suis à peu près certain de crever à 52-53 piges. J’ai déjà gagné sept mois de vie. Sept mois de bonheur au cours desquels j’ai au moins réussi à attirer l’attention du public sur la haute sécurité…

Publié dans Articles de Presse

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M
Il n’en reste pas moins que son assassinat à été « commandité » par l’élysée de l’époque :<br /> revoir les déclarations de ... giscard lui même, bonnet, pellegrini, aimé-blanc, les témoins directs de cette exécution publique (non entendus par la justice, tu m’étonnes ) ainsi que les tireurs<br /> mêmes ... qui contredisent tous broussard .<br /> actions illégales pour le localiser<br /> pas de sommations<br /> pas de légitime défense car il était attaché et ne pouvait donc pas riposter (il avait les 2 mains sur le volant quand ils ont tiré )<br /> pas de grenades dans la sacoche ... (et quand bien même, comment aurait-il fait ?)<br /> armes et munitions spéciales, hors dotation dans la police et donc commandées spécialement pour l’occasion ..<br /> Se procurer le magazine « Photo », que l’état a cherché à interdire, ou on voit le corps de Mesrine à la morgue . Ca explique sa position ainsi que la balle dans la tête, en plus, après la<br /> fusillade .<br /> 40 flics surarmés contre un seul homme , attaché ; bravo la police !<br /> Ne pas oublier que l’opération a été filmée, du trottoir ainsi que de l’intérieur même du camion bâché . c’est intéressant non ?<br /> etc, etc<br /> Opération menée donc dans l’unique but de le tuer . Contrairement aux déclarations du lâche broussard qui ne fait depuis 33 ans maintenant, que protéger ses hommes, lui même en tant que responsable<br /> de l’opération, mais surtout l’élysée , qui a été jusqu’à ordonner à la « justice » de ne pas poursuivre les tireurs (béteille...)<br /> DE QUEL DROIT TOUT CA ?<br /> Tant que la vraie justice n’aura pas été rendue concernant son exécution préméditée, cela donnera raison justement à des gens comme Mesrine , ou plus grave encore, aux groupes radicaux d’extrême<br /> gauche, qui prétendaient que nos « démocraties » sont en fait TOTALITAIRES (tiens, je croyais que seuls les pays communistes l’étaient...).<br /> Cette affaire, et ce n’est pas là seule, leur donne raison .
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C
Il n’en reste pas moins que son assassinat à été « commandité » par l’élysée de l’époque :<br /> revoir les déclarations de ... giscard lui même, bonnet, pellegrini, aimé-blanc, les témoins directs de cette exécution publique (non entendus par la justice, tu m’étonnes ) ainsi que les tireurs<br /> mêmes ... qui contredisent tous broussard .<br /> actions illégales pour le localiser<br /> pas de sommations<br /> pas de légitime défense car il était attaché et ne pouvait donc pas riposter (il avait les 2 mains sur le volant quand ils ont tiré )<br /> pas de grenades dans la sacoche ... (et quand bien même, comment aurait-il fait ?)<br /> armes et munitions spéciales, hors dotation dans la police et donc commandées spécialement pour l’occasion ..<br /> Se procurer le magazine « Photo », que l’état a cherché à interdire, ou on voit le corps de Mesrine à la morgue . Ca explique sa position ainsi que la balle dans la tête, en plus, après la<br /> fusillade .<br /> 40 flics surarmés contre un seul homme , attaché ; bravo la police !<br /> Ne pas oublier que l’opération a été filmée, du trottoir ainsi que de l’intérieur même du camion bâché . c’est intéressant non ?<br /> etc, etc<br /> Opération menée donc dans l’unique but de le tuer . Contrairement aux déclarations du lâche broussard qui ne fait depuis 33 ans maintenant, que protéger ses hommes, lui même en tant que responsable<br /> de l’opération, mais surtout l’élysée , qui a été jusqu’à ordonner à la « justice » de ne pas poursuivre les tireurs (béteille...)<br /> DE QUEL DROIT TOUT CA ?<br /> Tant que la vraie justice n’aura pas été rendue concernant son exécution préméditée, cela donnera raison justement à des gens comme Mesrine , ou plus grave encore, aux groupes radicaux d’extrême<br /> gauche, qui prétendaient que nos « démocraties » sont en fait TOTALITAIRES (tiens, je croyais que seuls les pays communistes l’étaient...).<br /> Cette affaire, et ce n’est pas là seule, leur donne raison .
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