«Mesrine était bien plus dangereux que moi pour la société»

Publié le par admin

Interview de Michel Ardouin, alias Porte-Avions, ex-complice du braqueur.
Propos recueilli par Patricia Tourancheau pour le Figaro
Article oiginal publié le 05/11/08 à retrouver ici

MIchel Ardouin , ex-associé de Jacques Mesrine

Crédit photos LCI

 

Michel Ardouin, 65 ans, alias Porte-Avions en raison de son équipement militaire dans les années 70, fut partenaire de braquage de Jacques Mesrine, époque 1972-1973. Il témoigne dans un livre (1) des travers du prétendu «héros».

 

Comment était votre «associé» côté «professionnel» ?

Mesrine était un très bon braqueur de banques, courageux et rapide, doté d’un œil américain, capable de voir le danger sur les côtés. Mais question contact dans le milieu, zéro. Incapable de se procurer des faux papiers ou des armes. Après son évasion de la Santé en 1978, il a été obligé de braquer un armurier, pile le mec qui nous fournissait en douce. Encore un truc à la con !

Pour tester sa gonzesse, Joyce, il lui a donné un 6.35 et ils ont cambriolé une baraque à 200 mètres de chez nous à Mantes-la-Jolie (Yvelines), pour trois chandeliers en argent. Il n’avait pas les codes et l’éthique du milieu.

 

C’est gonflé de votre part, Porte-Avions, ancien tueur et maquereau…

 Quoi qu’on en dise, nous avons une tradition d’honneur et des règles. Intra-milieu, on s’entretuait joyeusement. Mais quand la police vient m’arrêter, je mets les mains sur la tête. Lui était comme une boule de flipper. Incontrôlable. On ne pouvait pas compter sur lui. Mesrine était bien plus dangereux que moi pour la société. Jamais je n’aurais osé m’attaquer à des petites vieilles comme les deux anciennes couturières de son père que Mesrine a braquées avec Janou Schneider pour 8 000 francs [1 219 euros, ndlr]. Ou enlever un président de cour d’assises pour finir par gazer sa gamine. Et encore moins torturer un journaliste qui avait écrit du mal de lui. La vie entière de Mesrine fût un règlement de comptes, par orgueil.

 

Avec qui Mesrine règlait-il des comptes ?

Avec tous ceux qui l’avaient vexé ou humilié. Il avait la rancune tenace. Quand on était ensemble, tous deux stakhanos du braco, on ne tapait que des Société générale et des Crédit lyonnais car ces deux banques lui avaient refusé un prêt quand il était jeune. Pareil pour le promoteur immobilier qu’il a kidnappé parce qu’il lui avait retoqué un crédit immobilier. En 1978, Mesrine a braqué le casino de Deauville où il avait tout perdu au jeu.

 

Et au quotidien, comment était-il ?

Chiant et sans humour, quatre jours en forme et trois jours abattu, pas rasé, pas lavé, à traîner à la maison. Soi-disant doué en cuisine, Jacques ne savait préparer qu’un seul plat, du rosbif avec des patates, et ne connaissait rien aux bons pinards. Son alcool préféré, c’était le Cointreau. Je perdais exprès les parties d’échecs parce que si je le battais, il me faisait la gueule. Le soir, il flambait dans les salles de jeux des frères Zemour et gardait toujours un billet de 500 balles [76 euros] dans sa chaussette pour rentrer en taxi, à sec. Il m’emmerdait à se la jouer «je suis le plus intelligent et le plus méchant». Une fois par mois, Jacques avait un dérèglement glandulaire, une remontée de tension négative, voire sadique, qui le poussait à faire n’importe quoi ou des horreurs.

 

Son combat contre les QHS (Quartiers de haute sécurité) n’était-il pas légitime ?

Il n’a jamais envoyé un seul mandat à un mec en QHS. Même pas à sa compagne, Janou Schneider, qui a fait cinq ans à cause de lui. Quand je l’ai fait remarquer à Jacques, il m’a dit : «Elle sait pourquoi je ne l’assiste pas.» Elle ne l’a jamais su.

 

Qui l’a érigé en «héros des temps modernes» et en ennemi public numéro 1 ?

C’ert Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur de Giscard jusqu’en 1977, qui a fabriqué plein d’ennemis publics numéros 1, Mesrine, Langlois, Willoquet, pour obtenir 64 millions de francs [9,8 millions d’euros] de budget à la police. Mesrine lui-même s’est hypermédiatisé au Québec et en France, puis, pour rester connu, a provoqué la police et fait semblant d’attaquer la justice et l’Etat. Je lui reproche d’avoir été son propre imprésario pour devenir la vedette du crime. Pourtant, nous les malfrats, on n’est pas des héros. 90 % des voyous finissent mal : tués, au RMI ou en prison.

 

Existe-t-il des similitudes entre Mesrine et Antonio Ferrara, braqueur de fourgons blindés ?

Ah non ! Rien à voir. Ferrara est de la lignée des voyous de mon époque. Il ne manque pas d’humour et a du monde avec lui, des amis fidèles. J’ai beaucoup d’admiration pour ce petit mec des cités, courageux et drôle, qui prépare bien ses coups. J’aurais aimé braquer avec le «petit» Ferrara, plutôt qu’avec le «grand» Mesrine.

 

(1) Mesrine mon associé, éd. du Toucan. Ecrit avec Jérôme Pierrat. 232 pp., 17,90 €.

Publié dans Articles de Presse

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article